Il s’agit de l’un des exemples les plus déchirants du syndrome de l’imposteur qu’il m’a été donné de voir.
Un dirigeant accompli et techniquement qualifié s’est présenté devant l’un de mes clients pour passer une entrevue en vue d’obtenir un poste convoité. Après avoir évalué le candidat, j’estimais qu’il était sérieux, qu’il s’exprimait clairement et qu’il présentait un parcours éloquent.
Toutefois, à ma grande surprise, ce n’est pas le candidat que j’avais appris à connaître qui s’est présenté à l’entrevue. Le professionnel sûr de lui et bien établi que je connaissais avait disparu pour laisser place à une personne qui manquait cruellement de confiance en elle.
Inutile de dire qu’il n’a pas obtenu le poste.
Cette expérience m’a incité à me pencher sur le syndrome de l’imposteur – le sentiment persistant de tromper les autres et de ne pas mériter le succès professionnel, souvent en dépit des preuves du contraire.
Cependant, plus je lisais sur le sujet, plus je pensais à des anecdotes comme celle qui précède et plus je me demandais si nous abordions le problème de la bonne manière.
Si l’on en croit les acteurs de l’industrie artisanale qui a germé autour du syndrome de l’imposteur, ce problème concerne avant tout la personne et la façon dont elle se perçoit. Ainsi, le sujet relève du domaine de la croissance personnelle et du counseling.
D’innombrables livres, des milliers de messages sur LinkedIn et des articles dans des revues spécialisées ont été écrits sur le sujet par un large éventail de consultants, de thérapeutes et même d’instituts, qui promettent tous d’aider les gens à surmonter le manque de confiance en soi qui les habite.
Cependant, si l’on approfondit la question, on commence à voir une perspective plus évoluée. En effet, le syndrome de l’imposteur est peut-être davantage un problème institutionnel ou organisationnel qu’un simple problème personnel.
Le syndrome de l’imposteur est une préoccupation importante et légitime
Le syndrome de l’imposteur et ses conséquences sont bien réels. De nombreuses études universitaires ont établi un lien direct entre ce syndrome et des affections psychologiques telles que l’anxiété et la dépression.
Cependant, bien que l’on reconnaisse généralement que ce phénomène est réel et dangereux, il n’y a pas de consensus sur l’ampleur du problème ni sur la manière de le traiter.
C’est à la fin des années 1970 que Pauline Rose Clance et Suzanne Imes, psychologues cliniciennes à l’université d’État de Géorgie, ont mis en évidence ce problème préoccupant pour la première fois. Dans le cadre d’une étude pionnière, elles ont inventé le terme « phénomène de l’imposteur » pour décrire « l’expérience de l’inauthenticité intellectuelle » que vivent les femmes très performantes.
Mmes Clance et Imes n’ont pas essayé de déterminer la prévalence du « phénomène de l’imposteur », mais beaucoup d’autres ont essayé de le faire depuis. Une étude de 2020 souvent citée, publiée dans le Journal of Internal Medicine, révélait que jusqu’à 82 % des personnes interrogées qui étudient les sciences infirmières et la médecine à l’université ont le sentiment de ne pas avoir mérité ce qu’elles ont obtenu et de tricher.
Cependant, dans leur étude originale, Mmes Clance et Imes soulignent entre autres qu’il est très difficile de quantifier le « phénomène de l’imposteur », ou le syndrome, car il ne fait pas l’objet d’un diagnostic clinique et la manière de le traiter n’est donc pas claire. Il s’agit là d’un point important à prendre en considération lorsque l’on tente d’approfondir notre compréhension de ce problème et la manière dont il devrait être abordé.
Ce n’est peut-être pas vous. C’est peut-être votre employeur.
Au cours des deux premières décennies qui ont suivi la mise en évidence du syndrome de l’imposteur, les conseils prescriptifs étaient presque exclusivement centrés sur la personne. Des experts autoproclamés décrivaient la lutte contre le syndrome de l’imposteur comme un combat interne avec la volonté. Ou, comme l’a dit l’un de ces gourous, la seule façon de ne plus se sentir imposteur, c’est d’arrêter de penser comme un imposteur.
Cependant, au tournant du siècle dernier, le discours sur le syndrome de l’imposteur a profondément changé. Soudain, des chercheurs et des psychologues ont commencé à suggérer que la culture et l’environnement de travail en tant que tels, et non un assortiment de problèmes psychologiques profondément ancrés, étaient peut-être la force motrice du syndrome de l’imposteur.
Une étude de chercheurs européens, publiée fin 2020 dans Frontiers in Psychology, soutenait que le contexte était aussi important, sinon plus, que les sentiments autogénérés et éventuellement erronés d’incompétence. Au lieu d’interpréter les insécurités des gens appartenant à des groupes marginalisés uniquement comme un problème qui émane d’eux-mêmes, ils prétendent qu’il est essentiel pour les recherches futures de prendre en compte le rôle important de l’environnement dans l’émergence de leurs sentiments d’imposture.
Cet article a ouvert la porte à d’autres voix informées qui doutaient que le syndrome de l’imposteur soit présenté de la bonne manière. Une attention accrue a alors été accordée à l’incidence de la culture organisationnelle, de la culture de leadership et des préjugés raciaux ou culturels, en particulier dans le cas des groupes de notre société qui sont historiquement plus vulnérables à toutes ces forces.
En d’autres termes, il est possible qu’une personne se sente incompétente ou incertaine de ses capacités parce que les gens avec lesquels et pour lesquels elle travaille lui donne cette impression. Comme le dit le vieil adage, ce n’est pas de la paranoïa si la menace est réelle.
Un nouveau contexte pour les réponses au syndrome de l’imposteur
Une personne qui a l’impression d’être un imposteur doit déployer beaucoup d’efforts pour gérer ses sentiments et parvenir à une vision plus équilibrée de ses capacités. Cependant, la découverte de soi à elle seule ne suffira pas. Les organisations doivent s’attaquer aux aspects qui peuvent contribuer au sentiment d’incompétence.
Réponses individuelles
· Si vous souffrez d’un manque de confiance en vous au travail, vous devez en parler avec votre supérieur afin de savoir précisément ce que vous faites bien et ce que vous pouvez améliorer. N’essayez pas de lire dans ses pensées et n’interprétez pas chaque geste ou regard comme une preuve de votre incompétence. Affrontez vos peurs.
· Voyez si votre organisation peut vous permettre de travailler avec un accompagnateur, un mentor ou un conseiller. Des contacts réguliers avec un accompagnateur de gestionnaires peuvent aider à clarifier et à contextualiser vos plus grandes peurs dans le cadre du travail.
· Ne supposez pas que tout ce que vous ressentez se passe simplement « dans votre tête ». La démarche de découverte nécessaire pour se débarrasser du syndrome de l’imposteur exige que vous vous demandiez si vous faites vraiment le meilleur travail possible. Quoi qu’il en soit, cherchez toujours à améliorer votre rendement.
· Essayez de créer un sentiment de communauté avec vos pairs et d’autres collègues afin de partager des expériences communes. Le fait de savoir que vous n’êtes pas la seule personne aux prises avec le syndrome de l’imposteur peut vous aider grandement à renforcer votre confiance en vous.
Mesures organisationnelles
· Un effort concerté pour améliorer la sécurité psychologique sur le lieu de travail peut contribuer à atténuer l’incidence du syndrome de l’imposteur. Une personne qui se sent en sécurité et valorisée au travail et qui reçoit régulièrement une rétroaction constructive est moins susceptible de se laisser aller à penser qu’elle fait semblant de savoir ce qu’elle fait.
· Envisagez de mettre à jour votre modèle d’évaluation du rendement. De nombreuses organisations ont revu l’ensemble de la méthode d’évaluation du rendement pendant et après la COVID-19. Une évaluation positive et efficace du rendement devrait contrer le syndrome de l’imposteur, mais une évaluation mal gérée peut intensifier le sentiment d’incompétence.
· Ne tolérez pas une culture de leadership toxique. Manifestement, les dirigeants qui diminuent, dénigrent, isolent et rabaissent les personnes qu’ils dirigent cultiveront le syndrome de l’imposteur. Un dirigeant toxique peut donner à l’employé le plus compétent et le plus performant l’impression de ne pas être à la hauteur.
· L’accompagnement n’est pas seulement utile pour aider les gens à surmonter le syndrome de l’imposteur; il peut aussi aider les dirigeants et les gestionnaires à éviter les comportements susceptibles de déclencher des sentiments d’incompétence chez les personnes qu’ils dirigent.
La littérature sur le syndrome de l’imposteur révèle qu’il s’agit d’un problème réel et urgent, qui touche de nombreuses personnes à un moment ou à un autre. En prendre conscience devrait favoriser une plus grande empathie et inciter les organisations à cerner les éléments déclencheurs et à s’en occuper dès que possible.